L'information : écho du monde, miroir de nos vérités
Discours d'ouverture au CRIM - Journée sur la désinformation à l'ère de l'IA (25 mars 2025)
Alfred Sauvy, grand statisticien français, a marqué l’histoire avec une phrase aussi percutante qu’intemporelle : « Qui détient l’information, détient le pouvoir. »
Cette phrase traverse les époques sans prendre une ride et résonne plus que jamais à cet ère, où l’information fuse de toutes parts… parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire ... c'est à dire, les nombreux défis et dérives liés à son accès et à son contrôle...
Que ça nous plaise ou non, l’information est partout. On peut l’ignorer, la remettre à plus tard, l’oublier… Ou au contraire, l’analyser, la questionner, s’en servir pour décider. On peut la partager, l’amplifier, parfois même la modeler pour qu’elle corresponde mieux à notre vision du monde.
Ce qu'on sait, c'est que l’information n’est jamais neutre. Derrière chaque donnée, chaque article, chaque photo se loge l’intention, consciente ou pas, d’une personne qui a fait des choix qui pointent dans une direction.
Quoi montrer, quoi taire, comment le formuler, où mettre l’emphase... Et ces choix influencent notre perception.
L’information joue un rôle central dans nos sociétés. Elle peut éclairer autant qu’elle peut manipuler. Elle influence les décisions individuelles comme les grands événements historiques.
Pensons aux premiers pas de l’homme sur la Lune. Un moment suivi en direct par la planète entière. Une démonstration du pouvoir de l’information en temps réel.
Pensons à la crise d’Oka en 1990. L’image du soldat Patrick Cloutier et du warrior mohawk Brad Larocque s’observant en silence ...l'image est devenue une icône, marquant profondément l’imaginaire collectif.
Alors ce que nous retenons d’un événement n’est pas seulement ce qui s’est passé, mais ce qui a été montré et comment cela a été raconté.
L’information, ce n’est pas seulement des faits. C’est aussi une mise en récit du monde.
L’information a de multiples facettes: liberté d’expression, propagande, manipulation, fiction ou réalité.
Elle oscille constamment entre vérité et instrumentalisation.
La presse écrite à démocratisé l’information, les journaux livrés à domicile ont structuré les matinées pendant bien longtemps: à 6h00, le papier arrive, et à 6h15, les lève-tôt savent déjà quelles rumeurs ou informations vont teinter leur journée.
Puis la radio lui a donné une voix grave et posée...une voix parfaite...radiophonique... une voix qui inspire la confiance...
Les journaux télévisés et leurs reportages d’actualité ont ensuite fait intrusion dans nos salons, la couleur est venue ajouter une touche de fard sur la réalité qu'est le monde...parfois brutal.
Le direct, puis l’information en temps réel nous ont permis de passer de simple récepteur de l’information à témoin de celle-ci et ont renforcé notre croyance en l’authenticité et l’objectivité de cette information.
Internet a tout bouleversé.
Chacun peut publier sa version de vérité, commenter (parfois en CAPS LOCK), reformuler, tronquer...tronquer… puis tronquer encore...
"Ah, ça se résume si bien dans un minuscule clip ultra dynamique...un émoji ajoutera sûrement du poids…''
Sur les réseaux sociaux, l’information circule à une vitesse fulgurante, souvent sans filtre, mêlée à l’émotion et aux opinions personnelles.
Comme société, il est devenu de plus en plus difficile d’expliquer à ceux qui ont connu une autre époque de l’information qu’elle n’est plus seulement un vecteur de savoir, mais aussi une arme, amplifiée par des technologies capables d’influencer nos perceptions à une échelle inédite.
Un tweet peut faire basculer une élection.
Un montage vidéo peut réécrire l’Histoire.
Un algorithme peut décider de ce que nous voyons et pensons.
Comment expliquer à ceux qui n'ont connu l'information que sous sa forme actuelle qu’il fut un temps où des journalistes risquaient leur vie pour exposer des faits – aujourd’hui, le combat n’est plus seulement de révéler la vérité, mais aussi de la faire émerger d’un brouhaha informationnel où tout semble se valoir.
''Ça doit être vrai, après tout, tout ce que je vois va dans ce sens...plus j'en regarde, plus ça me confirme... "
La multiplication des véhicules d’information multiplie d’autant les sources créant un paradoxe. Plus l’information est accessible et nombreuse plus il faut se questionner sur sa provenance et sa véracité.
Se questionner sur la provenance ou la véracité n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Ne devrait pas être un phénomène nouveau!
Depuis toujours, l’information est filtrée, orientée, influencée par ceux qui la transmettent. La propagande, les narratifs politiques, les choix éditoriaux… tout cela existait bien avant l’ère numérique.
Oui, mais jamais de façon aussi brutale.
La désinformation, la mésinformation, la malinformation... Un tsunami informationnel qui frappe sous forme de notifications, de messages, de vidéos, de pop-up en tout genre qui surgissent sans avertissement.
Plus de temps pour digérer, pour remettre en question, pour douter.
La désinformation, la mésinformation, la malinformation...une même descendance, des cousines malveillantes, des belles-soeurs machiaveliques?
Désinformation : Information fausse, diffusée délibérément pour tromper. Une manipulation volontaire.
Mésinformation : Information fausse, mais partagée en pensant qu’elle est vraie. Une erreur involontaire.
Malinformation : Information vraie, mais utilisée pour nuire. Un détournement intentionnel.
La distinction entre vraie et fausse information est floue et la distinction entre ses fameuses descendantes est tout sauf évidente pour notre société.
Alors, que devons-nous croire ? Que devons-nous remettre en question ? Comment pouvons-nous vérifier nos sources ?
L’information est plus que jamais un terrain de jeu où l’honnêteté et la vérité se battent contre les forces de l’illusion et de la manipulation augmentées.
Elle est un outil, et comme tout outil, c’est notre manière de l’utiliser qui détermine son impact.
Alors cultivons notre discernement. Apprenons à douter intelligemment, à poser des questions, à confronter les points de vue (est-ce que c'est encore possible?... j'aurai pu l'écrire en CAPS LOCK).
Car si l’information est pouvoir, la compréhension est la véritable force qui façonne notre avenir.
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